M. R. Beaupère: Nous avons cheminé ensemble

Titel
Nous avons cheminé ensemble. Un itinéraire oecuménique


Autor(en)
Beaupère, Maurice René
Erschienen
Lyon 2012: Editions Olivétan
Anzahl Seiten
192 S.
Preis
URL
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Noël Ruffieux

On sort de la lecture de ce livre par la Porte Saint-Exupéry. Etonnant, dans un ouvrage dont les neuf dixièmes sont consacrés à «un itinéraire oecuménique». Ceux qui connaissent le père Beaupère savent la dévotion qu’il porte à son compatriote lyonnais. Ne négligez pas cet ultime chapitre. On y lit quelques-unes des plus belles pages consacrées à l’écrivain-aviateur. On y discerne ce que Saint-Exupéry a apporté au religieux dominicain pour lui éviter de «(s)’enfermer dans une spiritualité trop désincarnée qui rend l’Evangile si peu aimable» (172). La leçon de Saint-Exupéry, selon Beaupère? «Nous sommes des noeuds de relations, il faut donc parvenir à créer des liens entre les hommes, des liens concrets et pas seulement spirituels ou mystiques.» (172) Plus encore que Saint-Ex, René Beaupère a vécu au coeur de relations multiples, les provoquant, les entretenant avec une sainte joie. Le roman de Saint-Exupéry Terre des hommes, notre terre – «Je suis profondément attaché à mon travail sur la terre des hommes.» (186) – se termine par cette phrase digne du livre de la Genèse: «Seul l’Esprit, s’il souffle sur la glaise, peut créer l’homme.» Evoquant le Royaume au-delà de la terre des hommes, le père Beaupère l’image en un merveilleux jardin où «Dieu, notre Père, nous invitera tous ensemble à la promenade avec lui, ‹à la brise du soir›» (187).

Tous ensemble! Cette obsession parcourt ce livre d’entretiens avec Béatrice Soltner. La journaliste pose des questions pertinentes, avec finesse et délicatesse, relance l’entretien, saisit de nouvelles pistes, provoque la mémoire du p. Beaupère, parfois au-delà de ce qu’il avait prévu, mais n’occupe jamais le terrain. Ces entretiens mis en forme donnent le ton, l’humour pétillant, mais aussi la gravité du dominicain. Quatre-vingt sept ans, dont soixante-dix dédiés au travail pour l’unité des chrétiens, avec une constance, une opiniâtreté, une espérance qui ébahissent. Les quatre premiers chapitres conduisent de l’enfance d’un «vrai Lyonnais» aux gestations qui allaient donner naissance aux principales réalisations du p. Beaupère: le Centre Saint-Irénée, les voyages oecuméniques, le mouvement des foyers mixtes, le trimestriel Chrétiens en marche, la Formation oecuménique interconfessionnelle, les Dimanches oecuméniques…

Sur sa route, dès l’école catholique lyonnaise des Chartreux où il prépare son bac, des rencontres l’aident à choisir la trajectoire de sa vie, non pas un plan de carrière, mais un chemin à inventer pour suivre une étoile. Son professeur de physique et de chimie, l’abbé Paul Couturier, qui anime déjà la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens, sans être ni son maître spirituel ni son guide, joue un rôle déterminant en lui apprenant «l’attention à l’autre. Le fait de comprendre que si l’autre ne pense pas, ne vit pas, ou ne voit pas les choses exactement comme moi, ce n’est pas une raison pour me détourner de lui, bien au contraire. » (73) A la faculté des lettres, il a pour professeurs le catholique André Mandouze et le protestant Albert Greiner. Pendant sa formation chez les dominicains, il fait une première visite à Taizé et rencontre frère Roger Schutz. Tout nourrit sa vocation oecuménique. En 1952, à l’instigation de Paul Couturier, il entre au Groupe des Dombes dont il sera membre (très actif) pendant plus d’un demi-siècle! La même année, à Jérusalem pour se former à l’Ecole biblique, il visite le Proche- Orient, arpente la Palestine, terre du Christ, et rencontre ses chrétiens. Chez les moniales russes du Mont des Oliviers, il découvre l’orthodoxie et s’éprend de sa liturgie. Il fait la connaissance du père Lev Gillet. Plus tard, par le père André Scrima, il est introduit auprès du patriarche Athénagoras Ier qu’il visitera plusieurs fois et avec qui il mangera et s’entretiendra dans une totale simplicité.

A son retour à Lyon, sa vocation oecuménique prend forme. Avec son confrère François Biot, il crée le Centre Saint-Irénée. Le patronage de saint Irénée, deuxième évêque de Lyon, passeur théologique entre l’Orient et l’Occident, s’impose avec une belle évidence. Autour d’une importante bibliothèque oecuménique, le centre et sa chapelle voient converger des passionnés du dialogue oecuménique. Dès 1961, c’est le port d’attache des voyages oecuméniques CLEO initiés avec le pasteur Paul Eberhard. En 1964 paraît le premier numéro du trimestriel Chrétiens en marche. Le Centre est la base du mouvement des Foyers mixtes: lieu de rencontre, de célébration, de catéchèse, d’aide et de conseil pour les familles interconfessionnelles de la région, il rayonne au-delà des frontières françaises, grâce aussi à la revue Foyers mixtes.

René Beaupère raconte tout cela avec maintes anecdotes, des récits parfois rocambolesques d’événements qui, au final, forment de nouvelles étapes de son itinéraire oecuménique. Il y voit l’humour de Dieu, ou sa tendresse pour les humains, ou la créativité de l’Esprit «qui fait toutes choses nouvelles». Ce qui pour d’autres est hasard prend ici valeur de signe. Je l’imagine au 2, place Gailleton, pendant les entretiens avec Béatrice Soltner, dans son bureau encombré de livres, revues et dossiers, fouillant dans sa mémoire, cherchant dans ses archives une lettre mémorable, un texte à l’appui ou dans la bibliothèque le numéro d’une revue oubliée, toujours soucieux de la citation juste, de la référence exacte, du petit détail qui confirme la fidélité de sa mémoire Le chapitre 5 raconte l’épopée des foyers mixtes dès l’époque héroïque où des couples interconfessionnels, victimes des règles qu’on leur impose, espèrent la reconnaissance de deux Eglises, sans être obligés de renoncer à l’une ou à l’autre: où des prêtres et pasteurs, fatigués d’être prisonniers de la rigidité canonique, trouvent des solutions pastorales et liturgiques. L’esprit de Vatican II aidant, des pratiques nouvelles naissent, dans la fidélité à l’Eglise, mais une fidélité créatrice: célébration conjointe du mariage, catéchèse oecuménique, célébration oecuménique du baptême… Mais, comme le précise le religieux, «cet accueil pastoral plus humain, plus simple – qui s’apparente à l’‹économie› pratiquée par nos frères orthodoxes face à l’‹acribie›, la rigueur précise de la loi strictement appliquée – n’est justifiable que s’il s’appuie sur de bonnes connaissances historiques et théologiques» (111). L’originalité des foyers mixtes est dérangeante pour les Eglises. Aujourd’hui encore, «ces couples souhaitent être dans l’Eglise de l’un et de l’autre conjoint, en communion les uns avec les autres. [...] Ces chrétiens ont comme une double appartenance ou plutôt une double participation [...] On ne peut pas le nier. Il est urgent que les Eglises en prennent vraiment conscience au lieu de fermer les yeux par charité afin d’éviter de se mettre en colère.» (115–116)

Le chapitre 6 est consacré aux voyages oecuméniques qui ont pris une place très grande dans la vie de René Beaupère, «tour-operator oecuménique». La liste de ces voyages est impressionnante, en Europe, Asie, Amérique du Sud, avec une préférence pour le Proche-Orient et la Russie, un pays où, dès 1967, il s’est rendu plus de cinquante fois. Au début, grâce aux «hirondelles», le métropolite Nikodim de Leningrad et le père Vitaly Borovoy. «Une hirondelle ne fait pas le printemps, mais elle l’annonce!» (126) Les nombreuses anecdotes qui parsèment le récit évoquent des rencontres inopinées, tracent des portraits surprenants de ces chrétiens orthodoxes encore privés de toute communication avec l’extérieur. «Mon cheminement a été parsemé de providentielles rencontres.» (133)

Le chapitre 7 s’interroge sur l’avenir de l’oecuménisme. «Ce fut ma ‹passion›, dans les deux sens du mot!» (145) Loin des débats entre spécialistes de haut rang, des théologiens surdoués, des rencontres entre dignitaires, «je reste dans le brouillard et finis par me désintéresser de ces relations plus ou moins mondaines qui n’ont aucun rapport avec ma vie humaine et chrétienne » (146). Par nécessité pastorale, par goût aussi, René Beaupère préfère l’oecuménisme de proximité, tout en mesurant le danger de ronronner dans des «rapports de bon voisinage», «une coexistence pacifique, un ‹vivre ensemble› accommodant» (148). Ces deux voies doivent converger en une troisième, dynamique. «L’oecuménisme, en fait, cela n’existe pas. Il y a un ‹mouvement oecuménique› qui nous aide à rendre oecuménique notre vie tout entière. C’est-à-dire à ‹convertir› à l’Evangile mieux compris et mieux vécu tous les aspects et tous les chapitres de notre existence. [...] En tissant des liens spirituels et concrets, nous retrouverons, tous ensemble et les uns grâce aux autres, un sens de l’Eglise qui dépasse les barrières de notre jardin, les limites de notre paroisse, les frontières de notre pays et même celles de nos confessions chrétiennes.» (149) Le père Beaupère évoque bien sûr les ratées des institutions, les blocages des dialogues, les confusions avec le dialogue interreligieux, les replis identitaires, l’amnésie des jeunes générations de ministres…

Quand la journaliste lui demande de tracer ce que pourrait être cette troisième voie du mouvement oecuménique, on ne s’étonnera pas que celui qui fut pendant un demi- siècle membre du Groupe des Dombes évoque la «conversion», un mot, un appel, une exigence qui sous-tend tout le travail du Groupe parce que seule la conversion peut mener à la réconciliation. «Il faut d’abord commencer par balayer devant sa porte. Reconnaissons les défaillances de chacune de nos Eglises, et Dieu sait si elles sont nombreuses! Avec la conviction que, si je ne suis pas sans cesse en état de conversion, je ne suis pas un vrai chrétien, et si mon Eglise n’est pas sans cesse en état de conversion à Jésus-Christ et à sa Bonne Nouvelle, elle n’est pas vraiment chrétienne. La conversion ne s’oppose pas à la fidélité à mon héritage chrétien, elle le traduit et l’exprime en actes.» (162)

Ce message reste actuel. Le mérite premier de ce livre est de nous le rappeler. Ce que confirme l’«encadrement» oecuménique des entretiens: une préface du patriarche Bartholomée Ier et une postface du pasteur Jacques Maury.

Zitierweise:
Noël Ruffieux: Rezension zu: Maurice René Beaupère, Nous avons cheminé ensemble. Un itinéraire oecuménique, Lyon, Editions Olivétan, 2012. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Religions- und Kulturgeschichte, Vol. 107, 2013, S. 484-487.

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